PÉRIGNAC : LA GUERRE DES ÉPONGES

Le peuple des êtres en pierre et celui des êtres en éponge étaient en guerre depuis plus de deux mille ans. Les pierres surnommées les “Rochiens”, possédaient des corps et, bien sûr, des coeurs de pierre. Ils étaient les descendants de tous ces cailloux qui furent jadis si populaires à l’âge de pierre. Leur nature belliqueuse provenait en fait de la dureté de leurs ancêtres. Méprisant tout ce qui pouvait s’apparenter à de la souplesse, voire même, à de la douceur, les Rochiens tyrannisaient leurs voisins appelés les “Épongiens”.

Ce conflit était, d’ailleurs, tellement inégal entre ces deux peuples du désert planétaire, qu’il faudrait se demander ce qui empêchait les Rochiens d’exterminer complètement les Épongiens. En effet, ceux-ci possédaient des armes en silex, des lances-pierres et des gourdins. Puis, que dire de leur force physique prodigieuse !

Quant aux Épongiens, leurs pauvres ennemis, ceux-ci ne possédaient en fait, que des lances de liège pour se défendre. De plus, leurs corps étaient mous et poreux... comme des éponges ! Ils ne pouvaient rien soulever de lourd. Ces millions d’êtres fragiles survivaient tant bien que mal dans leur grand village bâti uniquement d’ouate. Ce peuple, asséché par la chaleur, n’était pas fait pour vivre dans le désert puisqu’il était originaire de la mer.

L’histoire de la guerre commença lorsque les ancêtres marins des Épongiens reçurent pour mission de laver toutes les pierres du désert afin de les nettoyer du sang qui les recouvrait. Par contre, les Rochiens s’y refusèrent catégoriquement, préférant leur état actuel à celui d’être lavés par l’eau.

La guerre éclata aussitôt ! Les malheureuses éponges tentèrent donc un retour vers leur habitat naturel mais sans cette eau pour les imbiber, elles se traînèrent, vaille que vaille, sur le sable, sans pouvoir parcourir plus d’un mètre par jour. Le soir, l’humidité les nourrissait juste assez pour survivre une seule journée. Ainsi, peu à peu, les Épongiens conscients qu’ils n’avaient qu’une chance minime de survivre dans le désert, abandonnèrent cette folle idée de revoir leur mer patrie. De plus, pourchassés par la vengeance des Rochiens, ceux-ci réalisèrent très tôt, qu’ils devaient s’armer de tout ce qui pourrait être transportable pour eux.

Ainsi donc, après avoir consulté les sages, il fut décidé qu’on établirait un village afin de se protéger. Le jour, les éponges partiraient à la recherche de boules d’ouate et de liège. D’ailleurs, ce fut tout ce qu’ils trouvèrent et ce, en grande quantité, bien qu’ils ne surent jamais d’où provenaient ces matériaux. Quoiqu’il en soit, ceux-ci leur furent très utiles pour fabriquer les huttes et les armes.

Bien que depuis longtemps les Rochiens n’avaient plus rien à craindre des Épongiens, la guerre durait depuis des millénaires. Est-ce par habitude ou par plaisir, cela n’est pas mentionné dans l’histoire. Il n’en demeure pas moins que l’instinct de ces guerriers les poussait à terroriser et à massacrer leurs faibles voisins. Malgré les efforts de ces derniers de rester à distance, les Rochiens s’amusaient à s’en approcher pour ensuite essayer de les atteindre avec des centaines de catapultes.

Cette forme de persécution maladive envers les Épongiens leur en coûtait beaucoup car les pierres utilisées sur les catapultes étaient des guerriers suicides. Leur mission était de se laisser docilement “lancer” sur la tête des Épongiens. À cause de la violence de la chute, ceux-ci étaient littéralement pulvérisés dès qu’ils atteignaient le sol. Afin de riposter à ces attaques surprises, les Épongiens envoyaient aussitôt une volée de lances sur le territoire ennemi mais, à chaque fois, les projectiles en liège rebondissaient sur la tête dure des Rochiens et les huttes de pierre sans y laisser la moindre égratignure. Inutile de dire que les Rochiens ne se donnaient même pas la peine de se cacher pendant les attaques et continuaient à vaquer à leurs occupations comme s’il s’agissait d’une simple pluie passagère.

Ce fut ainsi pendant des milliers d’années. Cette guerre inégale durait sans que les pauvres Épongiens puissent trouver une autre façon de se défendre. Leur seule consolation fut peut-être de songer à ces guerriers suicides sacrifiés par le terrible CALCAIRE, chef des Rochiens. Ce dictateur cruel et meurtrier n’avait nul besoin de sacrifier ainsi la vie de ces milliers de guerriers et son peuple le savait. Celui-ci le détestait pour cette raison mais qui aurait osé s’attaquer à ce géant capable de soulever à lui seul un rocher de plusieurs tonnes! De plus, son gourdin en pierre servait à effriter la tête de ceux qui osaient s’opposer à son régime.

Pour ce qui est du peuple des éponges, leur héros s’appelait BRAS PUISSANT car celui-ci pouvait soulever, à lui seul, une hutte entière de ouate au bout de ses bras. Ce “puissant” du peuple des ”faibles” ignorait toutefois qu’il aurait un jour à combattre le “puissant” et “fort” Calcaire.

Il faut le répéter que cette guerre durait depuis si longtemps qu’elle finit même par faire partie des moeurs. À l’éponge qui en demandait la raison, la réponse était invariablement: “Les Rochiens détruisent nos huttes, écrasent nos frères, et tu demandes pourquoi la guerre?”. Chez les voisins la réponse était quelque peu différente : “Mais tu ne vois pas qu’on viole notre tranquillité à coup de lances ! Inoffensives ou non, est-ce une façon d’agir pour un peuple qui se dit pacifique ?”.

Un matin, pourtant, apparût un ermite au milieu du village épongien. Celui-ci paraissait étrange pour le peuple des éponges car il avait l’aspect d’une pierre et la texture d’une éponge... Cet ermite se présenta au roi comme étant le messager d’une mission précise: rétablir la paix entre les deux peuples ennemis. Il débuta donc son discours ainsi :

- Vous qui cherchez à comprendre l’origine et le sens de cette guerre interminable et cruelle, écoutez-moi ! Je suis le médiateur envoyé par le ROI DU NORD. Il connaît l’origine de votre peuple et celle des pierres. Ce que vous ne savez pas, c’est que jadis, bien avant la naissance des éponges et des pierres “intelligentes”, vivait un grand peuple appelé HUMAIN. Celui-ci occupait, à l’époque, tout le vaste territoire de la planète. Mais les Humains ont fait la guerre partout entre eux et ont ainsi détruit toute la nature qui existait sur la planète. Par la suite, tout devint aride et désertique. Les quelques survivants finirent par s’entre-tuer afin de conquérir les quelques terrains épargnés de la dévastation. Les pierres furent utilisées pour se battre. Ainsi, il ne resta plus bientôt que quelques vieillards malades et stériles. Ce peuple finit par s’éteindre de lui-même. Ainsi, le silence s’installa à jamais dans ce qui fut autrefois des cités superbes et des villages. Il ne reste plus que les ruines de cette ancienne civilisation.

Un lourd silence plana sur l’Assemblée. Plus brave et plus soupçonneux, Bras Puissant intervint :

- Pourquoi écoutons-nous celui qui ressemble trop à nos ennemis ? Peut-il être notre allié?

- Laisse-le parler, lui répondit le roi SPONGIEUX 1er, fils du vaillant roi POREUX LE DOUX et descendant de l’illustre SIMON DE NOC, premier guide des Épongiens.

L’ermite poursuivit donc en ces termes :

- Les HUMAINS ont toujours utilisé les pierres comme outils, comme armes, comme bijoux et comme habitations. Dès l’âge de pierre, une histoire circulait qu’un frère en aurait tué un autre en utilisant une pierre comme massue. La haine et la jalousie des HUMAINS forcèrent d’autres pierres à se laisser polir et ligoter sur les pointes des flèches et des lances. Par la suite, ceux-ci attachèrent ensemble plusieurs pierres qu’ils appelèrent “précieuses” afin d’orner leurs cous, leurs poignets et leurs têtes. Peu après, les pierres servirent à donner des titres à ceux qui les transportaient en couronnes. Certains HUMAINS ont même tué afin de posséder une seule de ces pierres précieuses. Les HUMAINS et les pierres ont partagé souvent les mêmes joies et les mêmes peines. De la pierre de naissance à la pierre tombale, de la pierre à sacrifice à la pierre d’autel, il y eut des HUMAINS pour les aimer à la folie ou pour les maudire dans leur agonie. L’or signifiait pour eux la richesse, mais la plus recherchée des pierres fut, sans doute, la pierre “philosophale” et représentait, aux yeux des sages, mille fois la valeur de l’or.

Le sage attendit d’avoir l’attention de toute l’assemblée avant de poursuive son exposé.

- Plusieurs maisons furent aussi construites en pierre, comme : les temples, les pyramides et les châteaux. Par contre, il y eut aussi des lieux où les pierres servirent à enfermer des prisonniers dans les donjons ou des tombeaux. Même si, à l’époque, les ancêtres des Rochiens furent plus résistants, plusieurs furent sacrifiés afin d’aider les HUMAINS à moudre leurs grains, retenir l’eau des écluses et surtout, emprisonner le feu dans leurs maisons. Bien que les pierres servirent quotidiennement aux besoins des HUMAINS, ceux-ci ne les ont pas comprises. Finalement, le fait d’être continuellement utilisé par eux finit par développer, chez les pierres, une certaine “conscience”. Par contre, comme celles-ci furent plus initiées à la violence qu’à l’amour, les pierres oublièrent à quoi ils pouvaient ressembler. Il en fut de même pour la tolérance et la justice héritage de tout ce qui existe dans la nature. Après avoir observé tant d’iniquité chez les HUMAINS, les pierres finirent par avoir le coeur de pierre que vous connaissez aujourd’hui. Si les enfants des HUMAINS n’avaient pas jeté des cailloux sur leurs frères, si le sang humain n’avait pas tant souillé les champs de bataille, ceux-ci n’auraient pas engendré des pierres guerrières, les ancêtres des Rochiens. Il fallut donc que la mémoire de ce sang répandu fut effacée sur le corps de ces pierres. C’est pourquoi le “Roi du Nord” dit à vos ancêtres : “Vous, les éponges que j’ai préservées de toute cette violence en créant ce ciel liquide qui porte le nom de mer ou d’océan, je vous donne cette noble mission d’aller laver toutes les pierres du désert afin de les purifier. Sortez de votre monde marin et n’oubliez jamais que votre force est l’eau”. Mais voilà!... Malheureusement, vos ancêtres se sont asséchés bien avant de rencontrer les Rochiens. Ainsi, lorsqu’ils tentèrent de les laver, ils ne firent que les “irriter” car une éponge sèche ne vaut guère mieux qu’un arbre sans fruit. Ce qu’elles avaient oublié dans le message, c’est qu’elles devaient d’abord trouver la SOURCE DU DÉSERT, s’y tremper, et ensuite accomplir leur mission.

Le roi des Épongiens se leva et s’approcha de l’ermite afin de lui offrir son amitié car,enfin, le voile se levait sur un grand mystère.

Tout à coup, une pluie de guerriers suicides s’abattit sur le pauvre village. Plus de dix mille villageois furent engloutis sous l’imposante masse de pierres concassées. Le roi fut mortellement atteint par quatre de ces projectiles ; l’ermite aussi. Par contre, celui-ci eut le temps de murmurer ces quelques paroles d’espoir : “Cherchez la source du désert ; c’est là votre seul salut !”

Ce fut un grand jour de deuil pour les Épongiens qui pleurèrent longuement la mort de ces deux êtres pleins de sagesse. Ils savaient que si le roi était prêt à offrir son amitié à l’ermite, c’est que celui-ci avait reconnu, comme eux, que ce grand sage était effectivement l’envoyé du Roi du Nord. Mais il fallut désigner un nouveau chef qui, lui seul, pourrait ordonner la recherche de cette fameuse source évoquée par l’ermite.

Bras Puissant se croyait le seul à pouvoir accomplir cette fonction... N’était-il pas le héros de ce peuple ! Par contre, ce qu’il ne réalisait point, c’est que justement pour être un héros il faut faire fi de la sensibilité, qualité essentielle pour défendre son peuple. Un héros doit parfois accomplir des exploits hors du commun afin de protéger les siens. Sa tâche est des plus ingrates car il se doit d’être toujours le plus fort peu importe les circonstances, supportant le lourd tribut de la gloire ou de la défaite. Il est celui que l’on envoie pour accomplir ce que chacun n’ose faire par lui-même, et les attentes face à un héros sont immenses. À cause de tout cela, il est rarement celui qui ordonne mais bien celui qui offre sa vie pour une grande cause. Finalement, le sort voulut qu’il soit nommé “chef d’armée”. Le titre de GRAND POUVOIR 1er tomba sur un Épongien qui, jusqu’à ce jour, avait mené une vie assez obscure. Par contre, celui-ci avait déjà un grand pouvoir d’influence sur plusieurs citoyens du village parce qu’il avait la réputation d’être une éponge prudente.

De fait, face aux événements, ce nouveau roi ordonna à son peuple de reculer devant l’envahisseur. Son chef d’armée lui suggéra de faire rechercher cette source mentionnée par l’ermite avant de trépasser, mais, celui-ci répondit :

- Je le voudrais bien mais je crois qu’après tous ces bouleversements derniers, mon peuple n’est pas condition d’entreprendre une telle expédition. Moi aussi je crois au pouvoir du Roi du Nord. Par contre, je pense que si nous sommes incapables d’entreprendre cette mission, nous pouvons toutefois la désirer si fortement dans nos coeurs que celle-ci viendra à nous !

- Je vois, se contenta de répondre le chef d’armée.

Soumis, mais attristé, Bras Puissant s’éloigna car i l n’osa contredire ce nouveau roi. Il alla plutôt se reposer là où gisait le corps de l’ermite.

Ce fut donc lui qui fut le premier à apercevoir la rivière. En effet, pendant la nuit, une rigole d’eau claire était apparue à l’endroit même où gisait le corps de l’ermite, la veille au soir. Chose étrange, ce petit ruisseau prenait présentement des proportions immenses pour enfin se transformer, à l’aube, en une rivière imposante, longue de deux cents kilomètres par une centaine de mètres de large.

Aussitôt, Bras Puissant se jeta dans la rivière, et, vivifié, courut annoncer cette grande nouvelle à son roi.

Par contre, dans le camp adverse, les choses se passèrent différemment car, au matin, certains guerriers virent quelque chose miroiter non loin de leur village. Croyant voir un mirage, ceux-ci en informèrent tout de même leur chef. Calcaire envoya aussitôt quelques éclaireurs afin de vérifier ce fait qui, pour eux, serait une catastrophe ! Lorsqu’ils réalisèrent qu’effectivement c’était de l’eau, ceux-ci réagirent rapidement et Calcaire ordonna à dix mille guerriers de se tenir prêts à se sacrifier dès que les Épongiens tenteraient de s’approcher de la rivière. Ainsi, munis de ces armes redoutables rangées le long de cet étrange cours d’eau, il fallait s’attendre à voir des éponges périr en tentant de sauter dans cette rivière. Calcaire savait que les Épongiens voudraient s’imbiber d’eau ou pire encore, lui échapper en trouvant refuge au fond de ce monde liquide. Il serait ensuite impossible de gagner cette guerre.

Un des guerriers rochiens réagit face à cette décision de sacrifier tant de pierres qui, pour lui ne servait qu’à satisfaire la folie d’un tel dictateur. Il suggéra donc au chef d’essayer plutôt de traverser la rivière en disant ainsi :

- Nous pourrions repousser les Épongiens et ainsi contrôler l’accès de cette rivière !

- Imbécile ! lui cria son chef en colère. Nous sommes des pierres et par conséquent, aucun guerrier ne pourrait traverser de l’autre côté. À peine introduit dans l’eau, il s’y retrouverait au fond à tout jamais.

Calcaire avait parfaitement raison. C’est pour cela qu’il craignait tant de devoir perdre cette bataille aussi bêtement. Il était convaincu que les Épongiens chercheraient à lui échapper en se jetant dans cette rivière de malheur.

Mais il se trompait car Bras Puissant dit à son roi :

- Les pierres s’attendent sans doute à nous voir fuir vers cette rivière. Des millions d’Épongiens y trouveraient la mort avant même de pouvoir l’atteindre. Pourtant, cette rivière apparue magiquement ce matin devrait nous inciter à accomplir cette mission spirituelle que nos ancêtres ont été incapables de réussir sans EAU. C’est d’ailleurs ce que nous a demandé le Roi du Nord. Avons-nous le choix de laisser Calcaire imposer sa folie meurtrière ?

- Tu as bien raison, lui répondit le roi en opinant de la tête. Si tu trouves une solution, je suis prêt à ordonner à mon peuple de te suivre !

- Peut-être, répondit Bras Puissant d’un air songeur. Depuis la mort de cet ermite, une vieille légende ne cesse de me revenir à l’esprit. Je me souviens d’un vieux conteur du village qui a évoqué un fait concernant les HUMAINS dans une légende. Ceux-ci dit-on, détruisaient les roches en les faisant chauffer dans un grand feu. Ensuite, ils les aspergeaient d’eau, ce qui devait avoir pour effet de les faire éclater en plusieurs morceaux. Peut-être faut-il mettre le feu au village des Rochiens pour ensuite les arroser !

- Mais comment ferions-nous pour les arroser ? demanda le roi intrigué.

- Mon plan commence à se préciser, lui répondit le chef d’armée. Je pense qu’il faut d’abord mettre le feu à leurs catapultes placées sur l’autre rive. Si le vent nous est favorable, nous pourrons les atteindre avec nos lances enflammées ce qui fera une diversion. Pendant ce temps, je me jetterai à l’eau avec deux cents guerriers, profitant de l’épaisse fumée qui empêchera nos ennemis de nous voir. Ensuite, il faudra faire vite pour atteindre l’autre rive et arroser leurs catapultes en pierre. Si cette légende dit vrai, celles-ci vont éclater en mille parties.

- Mais c’est une mission suicide que tu proposes là Bras Puissant ! rétorqua le roi inquiet. Le feu va vous brûler mortellement ?

- Peut-être pas mon roi, lui répondit l’autre en souriant. Les chances de nous en sortir vivants sont minces... mais elles existent. S’il nous reste assez d’eau après avoir arrosé les pierres, celle-ci nous isolera du feu pour un certain temps. Une fois les catapultes détruites, nous nous empresserons de sauter dans la rivière tandis que d’autres guerriers enverront des milliers de lances enflammées sur le village des Rochiens. Nous marcherons ensuite vers lui, imbibés d’eau et toucherons nos ennemis devenus aussi brûlants que le chaud soleil du midi. À deux cent mille guerriers mouillés qui se suivront par colonnes de mille, notre arme saura bien faire éclater des milliers d’ennemis échaudés.

Le roi approuva ce plan.

Les trois jours suivant, ils attendirent ce vent qui permettrait aux lances d’atteindre l’objectif voulu. Pas moins de six mille éponges fixèrent des ouates sur la pointe de leurs armes en liège et attendirent les ordres de Bras Puissant. À l’aube du quatrième jour, un vent favorable souffla en direction du village des Rochiens. Le chef des armées épongiennes leva le bras et plusieurs lances enflammées s’élevèrent dans le ciel d’un seul coup, atteignant leur cible avec une précision presque parfaite. Étais-ce le Roi du Nord qui les guidait ainsi ?

Pendant ce temps, Bras Puissant poursuivit son plan en se jetant à l’eau avec ses braves. Le contact de ce liquide limpide les vivifia et accéléra même leur course.

Toujours pendant ce temps, la panique éclata dans le camp adverse et plusieurs guerriers affectés à la surveillance des catapultes couraient dans tous les sens et de façon désordonnée en criant à ceux qui pouvaient les entendre : “Le village est en feu. Les catapultes brûlent... et nous aussi !” En effet, devenus des torches vivantes qui essayaient en vain d’éteindre ce feu qui les dévoraient, les guerriers de pierre ignoraient que c’était leur épaisse crasse qui servait de combustible au feu. Puis, tous ceux qu’ils touchaient dans leur fuite s’enflammaient aussitôt à leur tour. On aurait dit que le village tout entier s’immolait par le feu devenu incontrôlable.

Dès que les éponges virent tous ces Rochiens en feu, elles se demandèrent d’où venait cette rapide conflagration de tous les habitants du village. Bras Puissant décida alors de changer ses plans et ordonna à ses camarades épongiens de se frotter à autant de roches qu’ils pourraient sans se brûler car la fumée noire était si dense que les Rochiens ne pouvaient distinguer les guerriers ennemis. Le moment aurait été “idéal” pour détruire toutes ces roches car les autres guerriers épongiens attendaient par millier le signal de se mettre à l’eau. Toutefois, la fumée noire empêchait le roi des éponges de voir ce qui se passait exactement dans le camp ennemi. Il attendait nerveusement le signal de son chef d’armée mais Bras Puissant n’avait pas prévu dans son plan INITIAL de devoir se retrouver au milieu d’une épaisse fumée de CRASSE NOIRE.

Heureusement qu’il en fut ainsi, car que serait-il donc advenu du peuple rochien s’il avait été attaqué par des millions d’éponges froides et mouillées ? Ces pierres auraient été exterminées, ce qui n’était pas dans l’intention du Roi du Nord. Celui-ci fit plutôt en sorte de mettre nos deux héros face à face. En effet, Bras Puissant sortait à peine de la rivière en marchant lourdement que le géant Calcaire se dressa devant lui, tout enflammé en brandissant son gourdin de pierre en sa direction. Il chercha vainement à fracasser la tête de son adversaire mais au même instant, Bras Puissant réussit à s’agripper à sa jambe rougie par le feu. Un hurlement sinistre s’ensuivit. L’énorme jambe éclata en morceaux mais sautillant sur un seul pied, le Rochien frappait tout autour de lui avec fureur. La fumée qui l’empêchait de voir son adversaire le rendait encore plus colérique.

- Ici Calcaire ! Attrapes-moi voyons ! Je suis devant toi ! As-tu peur de m’affronter?

Furieux, le géant frappait là où il entendait cettte voix qui osait le traiter de peureux. Il vit trop tard dans quel piège son ennemi venait de l’attirer. En sautillant une fois de trop devant lui, Calcaire se retrouva au fond de la rivière. Cette fois, ce fut son corps tout entier qui éclata en mille morceaux.

- Victoire ! Victoire ! s’écria Bras Puissant. Calcaire est mort !

Plusieurs éponges sautèrent à l’eau afin de récupérer la tête de l’ancien dictateur. Elle flotta bientôt à la surface de l’eau maintenue par un lit d’éponges. Un vent violent souffla aussitôt sur le village des Rochiens, éteignant d’un seul coup les pierres encore en feu. Cela permit également aux habitants de refroidir rapidement. Ceux-ci purent alors apercevoir la tête de leur chef qui flottait sur le bord de la rive. Ils n’eurent plus de doute par la suite : le géant était BEL ET BIEN VAINCU.

Alors un guerrier ennemi dit à Bras Puissant :

- Nous sommes vaincus. Dorénavant, nous serons vos esclaves !

- Non, lui répondit froidement le héros des Épongiens.

Bras Puissant scrutait l’horizon du ciel en faisant signe à tous de se taire. Alors une voix PUISSANTE se fit entendre, provenant de nulle part et de partout à la fois:

- Vous voici de nouveau réunis peuples des pierres et des éponges. Je ne veux ni vainqueurs, ni vaincus mais votre désir de réconciliation. Toi, peuple ÉPONGIEN, accomplis à présent cette noble mission de laver toutes les pierres de leur sang. Et toi, peuple ROCHIEN, n’oublie jamais les erreurs commises par les HUMAINS de l’autre civilisation.

C’est ainsi que Bras Puissant et ses deux cents frères épongiens lavèrent les premiers Rochiens. Bientôt, le roi des éponges traversa la rivière suivi par son peuple afin d’aider leurs confrères dans cette TÂCHE HISTORIQUE. Une fois cette mission accomplie, toutes les éponges sautèrent joyeusement dans l’eau. Elles obéirent ainsi à cette voix qui retentit de nouveau :

- VENEZ TOUTES MES ÉPONGES RETROUVER À PRÉSENT VOTRE MER PATRIE.

Lorsque le dernier Épongien atteignit le fond de cette eau magique, la rivière disparut comme par enchantement. Il se mit ensuite à pleuvoir et toutes les pierres se changèrent en HUMAINS...

C’est ainsi que prit naissance une nouvelle humanité. Peut-être saurait-elle devenir plus sage que la précédente puisqu’elle venait de reconnaître que l’impuissance des plus faibles avait, grâce à sa foi, réussi à vaincre la dureté de la pierre.

[retour]